Eduardo Manet, D’amour et d’exil

D’amour et d’exil

Écrit en français, paru en 1999 

Auteur : Eduardo Manet.

Cuba.

Les numéros font référence aux pages de l’édition lue soit : Le livre de Poche, parution mars 2001.

 
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Exil ! Voilà l’exemple typique d’un mot qu’on banalise pour mieux le vider de son douloureux contenu.
 
 On aimerait, partout dans le monde, que l’exilé couvre sous un voile son regard angoissé.
 
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Car si l’exilé ne se plaint pas, s’il se tait, c’est pour mieux se protéger.
 
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Pour un Cubain, révolutionnaire ou pas, une histoire de cul n’est jamais un péché capital, juste un accident de parcours.
 
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Le pays d’où je viens… entend-t-on souvent dire les exilés, et derrière comme sous-entendu, le mal du pays, ce pays absent qui me fait mal.
 
 Le pays d’où je viens… comme s’il s’agissait d’un aveu monstrueux, de la disparition d’un être cher qu’on ose à peine évoquer, d’une formule pour parler d’une maladie contagieuse.
 
Parce que je sais,  Leonardo, je sais que tout exilé, qu’il le veuille ou non, a eu un jour ou l’autre honte d’avoir abandonner son pays d’origine.
 
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Je me donnais un mal de chien pour acquérir ce parler tropical qui m’est étranger, un accent mou où les esses disparaissent ou la jota s’amollit.
 
27
 
L’exilé… il est un peu comme les esclaves noirs. Eux aussi ont été transplantés par un impératif brutal.
 
L’exilé, lui, est enchaîné à sa nostalgie, à sa rage impuissante.
 
32
 
Ces hommes et ces femmes du pays du yaourt se trouvaient face à une mulâtresse cubaine en pleine campagne de séduction, rayonnante d’énergie et de santé, un de ces spécimens uniques que seule notre île peut produire.
 
37
 
Depuis quand une jeune femme, épouse et jeune mère de famille, est-elle considérée comme tabou dans l’île de tous les désirs.
 
47
 
Chacun sait que le sport favori du Cubain, homme ou femme, est de surveiller tout ce qui bouge autour de lui, les gens, les poules, les cochons, les plantes vertes, les membres du parti et les contre-révolutionnaires en herbe… tout le monde est suspecté d’être autre chose que ce qu’il est.
 
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La réunionnite n’est-elle pas une maladie contagieuse, un vice, une perversité inventée par les humains pour mieux se sentir vivre ? Je me réunis donc j’existe.
 
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Car l’objet de nos discussions, si je ne m’abuse, se résume à quelques idées simples : pour faire son devoir de révolutionnaire, il faut étudier davantage, travailler mieux et plus afin d’augmenter la productivité.
 
66
 
Pour Noël, fête chrétienne que l’île ne célébrait plus officiellement mais que chaque Cubain continuait à fêter en cachette, quitte à vénérer le bon papa Marx barbu comme le Christ.
 
67
 
… il ne faut jamais s’évader pendant une réunion, encore moins s’endormir… c’est là que les décisions importantes se prennent, que les choses se jouent sans qu’on s’en aperçoive.
 
70
 
Je n’accorde de prix  qu’à la lucidité. Etre soi-même, ressentir et réfléchir par soi-même, en tirer les conséquences, ne se laisser berner ni ne berner personne.
 
74
 
Or ma mère a une imagination plus fertile que sa mémoire qui, elle, défaille quand cela l’arrange.
 
La réalité est un paysage flou qu’elle déforme à sa façon, un écran où elle projette ses désirs, ses rêves et sa fantaisie. C’est sa manière de survivre à cette réalité qu’elle trouve sordide.
 
97
 
Récolter le café ou couper la canne à sucre avait toujours eu pour lui valeur d’engagement, c’était un devoir révolutionnaire, jamais un plaisir ni une curiosité.
 
104
 
Ici notre cœur va au bois. Rien de tel pour défier le temps. À Cuba aussi vous aviez l’amour du bois, avant que  la mode américaine n’installe ces horribles meubles aux tubulures métalliques, ses formicas et ses plastiques.
 
109
 
… cette mer là ne ressemble pas à la nôtre… ici on la contemple de haut, de loin.  La mer à Cuba, c’est notre prison. Quand j’étais petite et que je m’asseyais avec ma mère sur le mur du Malecón face à la mer, je lui demandais toujours « qu’y a-t-il derrière l’horizon, Ma ? »
 
108 
 
J’ai horreur de ces grands magasins, ces temples de la consommation ont toujours plongé le Cubain sous-développé que je suis dans l’angoisse, la panique.
 
119
 
… j’avais vu à la télévision française un reportage sur Cuba. Toujours les mêmes images, les mêmes clichés. Les putes du Malecón, les queues devant les magasins vides, les murs décrépis des immeubles et les vieilles bagnoles rafistolées…