Wendy Guerra, Tout le monde s’en va.

Tout le monde s’en va.

Titre original : Todos se van, paru en 2006 

Auteure : Wendy GUERRA 

Cuba.

Les numéros font référence aux pages de l’édition lue soit : Le livre de poche, parution 01.09.2009

 

« Nous pourrions fermer les yeux devant toute cette misère, mais nous pensons à ceux qui nous étaient chers, et pour qui nous craignons le pire, sans pouvoir leur porter secours. »  Anne Frank,  Journal

9

Mes parents ne sont plus là, ils sont partis peu à peu.  Mais dans cet état d’orpheline, ils pèsent plus lourd sur ma vie qu’auparavant…

Naître à Cuba a consisté à ressembler à cette absence du monde…

Dehors,  je me sens en danger, dedans, je me sens confortablement prisonnière.

13

On nous prête toujours tout, à vrai dire.

16

Je me sens plus vieille que ma maman.

23

Les parents peuvent mourir quand on est enfant, je le sais.

25

« Une ville de rues droites et de cerveaux tordus. »

On dîne ensemble d’une soupe aux cailloux,  celle qui contient tout ce que les amis ont apporté.

30

Le bar est le pire endroit du monde. La puanteur qui monte des ivrognes me fait penser à des toilettes sales.

37

La peur de mon père m’empêche toujours de parler. Quand je suis seule, je veux le faire, mais devant lui je n’y arrive pas.

65

Quand j’entre dans la maison, je suis plus en danger que quand je suis dehors.

Parfois, je me mets à compter la quantité de maisons dans lesquelles j’ai vécu depuis que je suis née et je n’ai pas assez de doigts aux mains, je continue sur ceux des pieds.

71

Un jour, le güije tout noir va m’attraper par la patte et me jeter dans le tourbillon, parce que je suis une effrontée.

(güije : personnage issu du folklore afro-cubain, sorte de petits diables qui vit dans les arbres  fromagers et enlève les enfants).

88

Je me rends compte qu’elle a toujours été froussarde et à cause de cette peur on ne sera jamais ensemble.

On ne peut pas dire orphelinat, parce qu’ils n’aiment pas ça, c’est un Centre de Dépôt Infantile.

(CRD comité de défense révolutionnaire).

90

Il y a aussi les enfants de parents qui ont quitté le pays et ne veulent pas les réclamer.

93 

Comment est-ce que je pourrais avoir peur des filles d’ici alors que je me suis battue avec mon père et que je me suis échappée !

 Mais si je suis plus forte que les adultes, je serai plus forte que les enfants.

99

Personne n’appelle sa fille Nieve  avec la chaleur qu’il fait à Cuba.

105

Mami est tellement naïve qu’elle ne voit pas qu’ici personne n’est maître de rien.

120

Mami m’a interdit d’aller aux « actes de répudiation », qu’on réserve à ceux qui quittent le pays.

Parfois ils traînent même par terre ceux qui s’en vont. J’ai peur que quelqu’un que je connais décide de partir.

121

On te met dans le bus et on t’envoie à n’importe quel « qu’ils s’en aillent » (que se vayan) de cette ville, qui est très grande et d’où il part plus de gens que dans une autre.

123

« Allons-nous-en, la révolution, ce n’est pas ça. »

134

Nous vivons entre l’interdit et l’obligatoire.

C’est la guerre froide, la guerre du silence adolescent. Si tu ne fais pas partie du groupe, tu n’as pas de fiancé ; si tu n’es pas populaire, ils te rejettent, ils se moquent… et moi je ne supporte pas qu’ils me rejettent.

135

C’est la mode de ne pas s’embrasser.

137

Pour Mami, rien est anormal. Dans son esprit, il y a toujours une solution à tout.

139

Toutes ces pancartes et ces consignes, tous ces ordres qui vous exhortent sur les affiches politiques.

144

Comme dit la consigne :  « Chaque cubain doit savoir tirer et bien tirer ». Je ne suis pas née pour manier des armes.

Ma mère dit que c’est illégal de mettre des armes dans les mains des adolescents.  Mami ne sera jamais d’accord. Elle ne s’entend pas avec la réalité.

149

Ça me rassure de voir que je peux partir quelque part à la nage. Je ne sais pas où, mais partir à la nage un jour, pour toujours.

153

C’est un régime militaire. Il faut obéir aux ordres. Le désir reste à la maison, dans une boîte, sous clé.

171

Trop jeunes pour être jugés,  trop grands pour être pardonnés.

Un problème que j’ai pour lui avoir désobéi et un problème que je dois régler seule, dit-elle

174

La cohérence est rompue quand on doit inventer des histoires pour se défendre. On nous a obligés à combiner la vérité et le mensonge. Parce que nous avons grandi comme ça, en cachant les livres, les idées, les parents.

« Où est l’ennemi, alors ? » L’ennemi est-il le grand-père de Lucia qui écrit des livres qu’on nous a défendu de lire, ou le lieutenant Rolandp qui déchaîne sa violence contre nous ?

175 

Pourvu qu’un jour je trouve des réponses à toutes ces questions que je me pose aujourd’hui.

182

A Cuba, d’après elle,  la politique et dans ce que tu manges, dans ce que tu portes, dans le lieu où tu habites, dans ce que tu as et même ce que tu n’as pas.

Si tu veux échapper à la politique tu dois échapper à Cuba.

183

Où vais-je aller si je veux m’affranchir de tout ça ? Que vais-je faire de ma mère, qui est maintenant comme ma fille ?

187

Je sais que ses amis lui manquent, je ne peux pas lui défendre de les amener à la maison.

Ma mère est restée à l’école d’art,  entre les lits superposés et les manifestations.

189

J’ai su, de façon définitive et pour toujours, que je ne pouvais pas tomber dans la rue : personne ne viendrait me chercher. Je suis forte parce que je suis seule.

191

Je ne suis jamais au bon endroit à la bonne heure.

192

Qui suis-je ?

 Un peu de tout, un peu de rien, un casse-tête de vécu.

197

La Havane sent le gaz liquide et le poisson frais qu’apporte l’air salé du Malecón.

209

Je ne sais pas si je leur manque : ma mère a tellement d’amis à protéger, tellement à s’occuper dans sa maison-refuge, qu’elle s’en apercevra à peine.

212

… en fait aujourd’hui c’est la première fois que j’achète quelque chose à ma taille, quelque chose que je n’ai pas besoin d’arranger et que j’essaie dans la boutique pour voir si cela me va. Je ne connaissais pas l’existence de ce lieu.

219

A Cuba, le machisme est dissimulé par une éducation de haut niveau, mais il est là, il vous menace en permanence, entre jeu et réalité.

a censure apparaît toujours avec chaque homme que je croise sur mon chemin.

220

C’est toujours lui, le même, avec sa lame au vent qui lacère ce corps ; avec le fil de ma propre peur.

221

La seule personne ici qui m’invite à être heureuse avec naturel s’en va (Alan).

225 

… je ne trouve pas d’endroit où les choses me ressemblent.

229

… j’ai compris qu’elle préparait  sa fuite. Il n’est pas possible de vomir tant de vérités et de rester vivre à Cuba. Ici, c’est impubliable.

230 

… ici, il ne reste plus personne.

Je ne fais confiance à personne. Je n’attends rien de personne. C’est comme ça que j’ai été élevée et c’est comme ça que je suis.

236

Elles sont partis sans prévenir. Parmi ceux qui ont commencé l’école, nous allons être bien peu à passer notre diplôme.

237

Tout le monde s’en va. Ils me laissent seule. Le téléphone ne sonne plus.

239

Je suis rentrée à la maison, solitaire et sombre. Jour après jour dans l’attente de ce qui va arriver.

241

J’ai les bras fatigués de dire adieu.

Depuis que j’ai l’usage de raison, je suis entraînée par ma mère à m’en aller et à oublier.

L’heure est venue.

244 

… le Mur est sa barrière, elle s’y réfugie bien qu’elle le déteste, elle vit derrière lui.

… si elle arrivait vivante a renversé ce mur d’eau, il lui faudrait apprendre une autre manière de survivre.

261

… l’Angola, depuis 1979 des Cubains s’y battaient,  beaucoup de gens y sont partis, ce fut une chose que nous avons connue sous le nom d’ « Internationalisme prolétaire »… on ne saura jamais combien de sang a été versé.

262

Où laissons-nous le Nicaragua quand le Front sandiniste perd le pouvoir devant les urnes… combien de Cubains  ont-ils verser le sang là-bas ? Et au Panama ? Et  ceux qui sont morts à la Grenade,…

265 

… en sachant que quand tu liras tout cela je serais déjà mort.  Respecte le passé. Ne l’oublie pas.