La ville et les chiens : les livres (fotos)
Dans la littérature péruvienne il y a deux auteurs majeurs en prose et le poète César Vallejo (1892.1938).
Le premier grand auteur, tu le connais déjà bien, il nous a guidé dans nos recherches sur les Incas. Il s’agit bien sûr de Inca Garcilaso de la Vega (1549.1616). Ses écrits sont une source d’information sur cette civilisation qui va vite disparaitre après l’arrivée des espagnols. Dans sa narration, il est souvent très prudent, se justifie longuement et parait être un catholique convaincu et exemplaire. Mais, il ne faut pas oublier qu’il a vécu toute sa vie d’adulte en Espagne où sévissait déjà la Sainte Inquisition, cette juridiction ecclésiastique qui n’hésitait à envoyer au bûcher livres et auteurs (et autres hérétiques) jugés non conforme à la religion de Rome. Cette quasi police de l’église faisait régner la peur entretenue par le secret de ses procédures. Ci-contre, une photo du buste de Garcilaso de la Vega qui est un « faux » car on ne sait pas à quoi il ressemblait (précision apportée par le directeur d’un musée à Cuzco).

Le deuxième auteur majeur est Mario Vargas Llosa, né en 1936 à Arequipa. Il a été à l’école dans une académie militaire à Lima (dont il relatera la vie dans le livre « La ville et les chiens » justement, son premier roman). Il a poursuivi ensuite ses études à Madrid. C’est un journaliste de métier et il est politiquement engagé (d’abord à gauche puis à droite, il s’est d’ailleurs présenté aux élections présidentielles en 1990 avec un programme libéral mais a été sérieusement battu par Alberto Fujimori). «Il n’y a que dans les pays démocratiques qu’on peut se payer le luxe de ne pas faire de politique» a-t-il dit.
En 1994, il obtient le prix Cervantès (c’est le Goncourt espagnol) et en 2010, il reçoit le prix Nobel de la littérature.
Mario Vargas Llosa a écrit de nombreux romans tels La maison verte, Conversation à «la Cathédrale», La guerre de la fin du monde, Qui a tué Palomino Molero ? et … Lituma dans les Andes. Ce roman relate la vie de deux policiers en poste dans les Andes à l’époque du Sentier Lumineux, une des guérillas du Pérou.
Bon, c’est l’occasion de parler de cette période de révolution dans le pays. Pour te situer les choses, il faut remonter à Cuba où Fidel Castro ainsi que son frère Raul et Ernesto Guevarra dit le Che ont mené une guérilla contre le pouvoir en place afin de chasser du pays les riches impérialistes américains qui exploitaient Cuba. (En 1902, Cuba était devenue une république mais de façade, sans réelle autonomie car les USA possédaient 90% des mines et 50 % des terres agricoles ; ils contrôlaient 90 % des exportations de canne à sucre. Le pays était dirigé par un militaire, le colonel Batista, avec un régime arbitraire et corrompu. Et dans les faits, Cuba était passé du statut de colonie espagnole à celui de colonie des USA).
Cette révolution cubaine a abouti en 1959 et aussitôt, Fidel Castro a nationalisé les entreprises, expropriant beaucoup de propriétaires et de compagnies étrangères. La réaction des USA a été de décréter un blocus contre Cuba qui du coup s’est allié à l’URSS (nous étions à l’époque de la « guerre froide » entre les deux blocs USA/URSS).

Cette victoire a été analysée par Che Guevarra qui développa la théorie du foyer insurrectionnel en disant que «la victoire armée du peuple cubain sur la dictature batiste» démontre que le peuple peut se libérer lui-même au travers d’une lutte de guérilla (guerre de harcèlement, d’embuscade), même contre une armée organisée et notamment à partir des campagnes.
Et le Che de se mettre en tête d’exporter le modèle révolutionnaire cubain à toute l’Amérique latine pour la libérer de l’impérialisme, pilleur du continent. Bien sûr, les USA n’avaient pas envie de perdre toutes les matières premières qu’ils récupéraient dans ce commerce non équitable et la CIA s’est très vite débarrassée du Che en le faisant assassiner en 1967. Mais les mouvements révolutionnaires étaient en marche dans différents pays avec des mouvements comme les FARC en Colombie et le Sentier Lumineux et le Tupac Amaru au Pérou. Ces organisations émanaient de mouvances du parti communiste, ce qui inquiétait d’autant plus les Etats Unis qui ne supportent pas cette organisation sociale à l’inverse de la leur qui est basée sur le libéralisme et la liberté d’entreprendre.
Le problème, c’est que ces mouvements révolutionnaires n’ont pas réussi à renverser les régimes politiques en place et ils se sont embourbés dans une guérilla qui n’aboutissait jamais. Les groupes armés se sont installés dans une « routine » de violences, cherchant à se nourrir en terrorisant les populations civiles. Ces dernières étaient prises entre deux feux : l’armée et la police officielle du pays d’un côté, les rebelles de l’autre. Ces « révolutionnaires », pour survivre des décennies, se sont également accoquiné avec le monde des narco-trafiquants et sont devenus des groupes très peu recommandables et n’ayant plus de réel projet idéologique et politique plausible.
Et ici, je reviens vers Mario Vargas Llosa que je citerai pour illustrer cette période très dure et brutale avec des extraits de son livre « Lituma dans les Andes » :
– sur la montagne : «Le soleil était au centre du ciel, rond et éclatant. Il faisait une chaleur tropicale. Mais dans quatre ou cinq heures le temps fraîchirait et vers les dix heures du soir ils claqueraient des dents. Qui pouvait comprendre ce climat, aussi compliqué que les gens de la sierra ?»
– des gens de la montagne qui travaillent à la construction d’une route : «Ce qui est curieux, c’est que moi ils me font tous un peu de peine ces montagnards. Leur vie est d’un triste. Ils bossent comme des mules et c’est à peine s’ils gagnent de quoi manger. Qu’ils s’amusent un peu, s’ils le peuvent, avant que les rebelles ne leur coupent les couilles ou que ne débarque un lieutenant Pancorvo pour un interrogatoire musclé.»

– sur les rebelles s’adressant aux ouvriers et paysans : «Ils parlaient à tour de rôle, en espagnol et en quechua. La révolution avait un million d’yeux et un million d’oreilles. Personne ne pouvait agir à l’insu du peuple et échapper au châtiment. Ces chiens et ces ordures ont essayé de le faire et les voilà maintenant, à genoux, implorant la pitié de ceux qu’ils ont poignardés dans le dos. Ces hyènes étaient au service du gouvernement fantoche qui assassine les paysans, tire sur les ouvriers, vends le pays à l’impérialisme et au révisionnisme et travaille jour et nuit pour que les riches soient plus riches et les pauvres plus pauvres. Ces excréments n’étaient-ils pas allés à Puquio pour demander aux autorités d’envoyer des gardes civils pour, paraît-il, protéger Andamarca ? N’avaient-ils pas incité la population à dénoncer les sympathisants de la révolution aux patrouilles militaires ?»
Voilà, depuis quelques dizaines d’années, les pays latino américains évoluent lentement vers la démocratie après une ou des périodes de dictatures brutales largement soutenues, voir mises en place, par les USA. Il faut noter que les guerres d’indépendance sur ce continent mais aussi la plupart des révolutions ne sont pas le fait du peuple de base au départ. Il suffit de savoir que Fidel Castro était avocat, Che Guevarra était médecin et le Sentier Lumineux a été initié par Amigael Guzman qui était professeur de philosophie donc généralement des personnes instruites faisant partie de la bourgeoisie.
La prise en compte des aspirations du peuple souvent très pauvre commence timidement à se faire par exemple, le service obligatoire pour la construction des routes (découlant de la fameuse « mita ») a été aboli car il pénalisait principalement les indiens qui n’avaient pas les moyens de payer pour être exempté. Et en 2011, le président Humala a promulgé une loi qui rend obligatoire la consultation des communautés indiennes pour tout ce qui concerne les activités minières sur leurs terres (on en reparlera lorsque nous serons à Cajamarca).
Pas facile d’illustrer par des photos ce mail. Une autre photo d’une librairie qui vend des livres. Au Chili, les librairies ne vendaient que des fournitures, nous n’avions vu des livres en vente qu’à la Serena et encore c’était une librairie religieuse. Au Pérou, les livres semblent donc beaucoup plus accessibles, même s’ils sont souvent d’occasion.
Foilà, foilà, c’est tout pour aujourd’hui !
domm
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