Reinaldo Arenas, La plantation

La plantation

Titre original : El central (Fundación), paru en 1981

Auteur : Reinaldo Arenas.

Cuba.

Les numéros font référence aux pages de l’édition lue soit : Éditions Mille et une nuits, parution février 2005.

 

 

 

11

Des mains esclaves qui ont remué ces terres

ont ensemencé ces  terres

ont pressé ces tiges

ont cristallisé ce jus

13 

Des mains esclaves

au nom de la Patrie et de ses principes sacrés

mains qui s’enfoncent dans la terre

qui griffent et se recourbent

mains qui se déchirent

au nom des principes obligatoires et sacrés.

….  

Si belles les formes de l’Indien nu.

19

Ici chaque plante dégage une odeur particulière, étrange, qui charme ; et de chaque herbe jaillit une vibration qui attire. Rien n’est plus beau à voir que tout ce vert qui attend.

21

Certains ont mis fin à leurs jours avec du jus de yuca, d’autres avec des herbes empoisonnées, d’autres encore se sont pendus à une branche d’arbre.

23

… les indigènes de ces îles sont doux et mélancoliques et qu’ils n’hésitent pas à mourir plutôt que de renoncer à leurs danses, à leurs fêtes,  à leurs prodiges de nudité dans les eaux et les feuillages…

25

Les adolescents sont.

Les hommes et les femmes « doivent être ».

Voilà la grande différence

37

Noir … C’est ta couleur qui te condamne.

39

Jeune homme… c’est ta jeunesse qui te condamne.

Le jeune homme s’enfuit en courant… tombe tombe pour finir dans le ventre obscur du navire d’où s’échappent des émanations torturantes

et là il bondit

et là il se débat il crie mais l’enfant

a beau se démener il ne peut échapper

et il périt

il périt dans le ventre corrompu de l’île.

43

Et

des camions pleins continuent d’arriver.

On a besoin de bras.

On a besoin de bras.

On a toujours besoin de bras pour construire un empire.

Ne me demande pas lequel.

Ne me demande pas lequel.

Je te parle de celui que je connais,

c’est-à-dire

celui que je subis.

54

Sainte Vierge, et pendant ce temps-là le désir comme autrefois, les proportions du bonheur d’autrefois, le regret d’autrefois. Et la souffrance et la nostalgie, comme si nous étions encore des humains.

Sainte Vierge, et pendant ce temps l’appel insolent ; les pistons qui tournent ; la grande roue ; et nos bras qui arborent des machettes, qui se lèvent, qui font succomber la plantation aux pieds du chef de brigade.

55

Avec la création du supplice du fouet (…) il est indiscutable qu’une nouvelle école littéraire a vu le jour.

57

L’administrateur surveille, le contremaître ordonne ; la canne à sucre attend.  Le nègre obéit.

60

La nuit, les Noirs. Sont des fantômes que la terreur a discipliné…

La nuit, les Noirs. Cessent d’être noirs. Sont tristes mais non pensifs. Sont fatigués. Souhaitent se reposer.

62

Chaque  coupeur de canne laisse derrière lui une traînée de tiges brisées, une traînée de fureurs brisées ; il laisse, laisse derrière lui une traînée de jeunesse brisée.

63

Qui a conservé assez de colère et d’insolente innocence pour se décider à grimper dans la montagne…

65

Nous sommes arrivés…

les affiches où l’on nous montre l’avenir

et la grande plantation de canne à sucre où l’on détruit notre présent.

70

la nuit les Noirs la nuit, reconnaît-on la couleur de leur peau ? la couleur de leur détresse ?

la nuit, les conscrits, connaissent-ils seulement l’énormité de l’escroquerie dont ils sont victimes ?

71

Quelqu’un qui n’acclame pas, qui en cet instant même ne rit pas, entend-il le bruit, l’éternel éclat de rire de la terre ?

72

Quelqu’un sent-il  le crépitement désespéré de cette île où des millions d’esclaves griffent inutilement la terre ?

73

C’est précisément là où l’on ne peut rien dire qu’il faut le plus dire.

Il faut dire.

Tout dire.

 

…Eux sont mal logés, mal nourris, ils se lavent quand la voiture-citerne passe ; ils dorment à peine. Et vous, vous agitez une petite cuillère dans votre tasse.

76

Et la violence s’envenime comme une blessure de machette à l’époque des pluies.

87

Benito impose à l’infirmier des tâches vraiment excessives, que seul un garçon habitué à la soumission et à l’effroi perpétuel serait capable d’accomplir.

89

Après l’averse après l’averse la terre satisfaite et lavée respire paisiblement. Après. Après. Je m’en irai.

95

que peut-on attendre de cette jeunesse habituée à la persécution,

aux ordres péremptoires,

aux longs discours ronflants,

  à un travail obligatoire et inutile

à l’insécurité permanente ?

96

Tout, on peut tout attendre de cette jeunesse.

97

l’Unique ment.

110

Je vois des mains esclaves qui sans cesse s’agitent dans les ténèbres figées du temps.

 

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